Les comportements éco-citoyens relèvent plus de la psychologie que des CSP

Publié le 14/03/2017

Geste éco-citoyen : un site de compost en Californie. Mechanoid Dolly/Flickr, CC BY-SA
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De nombreuses études et recherches ont été réalisées afin d’identifier des facteurs explicatifs des comportements éco-citoyens. Les caractéristiques socio-économiques des individus et de leur foyer, leur CSP, font l’objet d’une attention quasi obsessionnelle dans les études. Vraisemblablement plus parce qu’il s’agit des indicateurs les plus faciles à appréhender que pour leur valeur prédictive. En effet, leur impact apparaît très limité. Une méta-analyse réalisée à partir de 29 études scientifiques a permis de conclure à une force prédictive de l’ensemble des facteurs sociodémographiques de 8 à 9 %. Aussi, la littérature scientifique parvient régulièrement à des observations et conclusions qui contestent ou contredisent certaines observations sociodémographiques récurrentes. The Conversation

Au regard de leurs limites apparentes, les seuls facteurs sociodémographiques doivent être dépassés afin de mieux prédire les comportements éco-citoyens. Dans cette perspective, l’étude des processus et facteurs psychosociaux a permis d’identifier et de comprendre les processus en jeu dans l’écocitoyenneté. Aussi, la littérature scientifique a pu constituer un panel étayé de facteurs psychosociaux ayant un impact, à forces diverses et variables, sur les comportements éco-citoyens.

Les variables psychologiques sont beaucoup moins souvent prises en compte que les facteurs socio-démographiques dans les études marketing. Pourtant, elles s’avèrent de puissants médiateurs entre motivations et comportements. Ces facteurs reposent, en grande partie, sur des travaux cognitivistes, mis à l’épreuve du terrain à de multiples reprises. Ces travaux offrent une compréhension des leviers afin d’appréhender les comportements des individus.

Les attitudes

Les recherches sur les attitudes (ensemble des croyances, opinions, dispositions à l’égard d’un objet) ont longtemps nourri l’espoir de permettre d’expliquer et d’anticiper les comportements des individus. Le paradigme selon lequel l’homme serait rationnel et se comporterait donc en fonction de ses idées (je pense donc je fais) s’est en effet confronté à ses limites. L’individu ne se comporte pas de façon rationnelle et connaître ou modifier ce qu’il pense ne permet pas de connaître ou modifier ce qu’il fait.

Aussi, les attitudes relatives à l’environnement, à la crainte d’une menace sociale ou environnementale ont fait l’objet de nombreux travaux et les chercheurs concluent traditionnellement à une relation, au mieux, faible à modérée entre l’intérêt pour l’environnement et les pratiques pro-environnementales. L’intérêt/le souci pour l’environnement n’explique par exemple pas plus de 10 % de la variance des comportements écologiques.

Le contrôle perçu

Dans de nombreuses études, le contrôle perçu est présenté comme le facteur le plus prédictif des comportements éco-citoyens. Le contrôle perçu répond à la question : si je décide aujourd’hui de faire ceci, dans quelle mesure puis-je le faire avec le sentiment d’être efficace ? Différentes raisons vont affecter la réponse : le sentiment d’être suffisamment informé, d’avoir à disposition le dispositif adapté, les croyances relatives aux effets du comportement, etc. Le contrôle perçu peut donc être affaibli ou au contraire renforcé par différents éléments. En termes de stratégie de communication ou d’accompagnement du changement, il s’agit de fournir aux individus des éléments de connaissance sur ce qu’il faut faire (comportement adapté), de comment le faire (les moyens pour y parvenir), de pourquoi le faire (les motivations) et de pour quoi le faire (pour quels effets).

Tri sélectif en restauration collective.
vdmois5-45/Flickr, CC BY-NC-ND

Par exemple, des recherches ont permis de montrer une forte corrélation entre les comportements pro-environnementaux et les connaissances. La connaissance des questions environnementales et la connaissance des stratégies d’action environnementale (comment faire) sont les connaissances les plus prédictives du comportement pro-environnemental. De même, Les individus qui pensent que leurs actes ont un impact tangible sur l’environnement ont plus de chance de re-produire ces actes. Il est ainsi régulièrement observé une forte relation entre les comportements éco-citoyens et la croyance que ces comportements sont efficaces et préservent l’environnement.

Les variables de personnalité

Il a également été identifié plusieurs variables de personnalité susceptibles d’affecter les pratiques éco-citoyennes, générales ou spécifiques. Parmi les valeurs personnelles de l’individu, l’accès à la culpabilité est ainsi celle ayant le plus d’impact sur la pratique éco-citoyennes. Les résultats de différentes études suggèrent en effet que si un individu a tendance à culpabiliser concernant ce qu’il fait ou ne fait pas, il aura également tendance à se sentir moralement responsable de l’environnement. Le sentiment de responsabilité à l’égard de l’environnement est considéré comme un facteur prédictif très puissant des comportements pro-environnementaux. Par ailleurs, être consciencieux (capacité à produire un effort, à s’appliquer, à être autodiscipliné, organisé) favorise l’adoption de pratiques éco-citoyennes.

Le machiavélisme (attribution d’intentions négatives aux autres et sentiment de devoir exploiter les autres ou être exploités) et le cynisme politique ont quant à eux une relation inverse avec la réalisation de pratiques éco-citoyennes. Enfin, les personnalités « conservatrices et égoïstes » sont également moins enclines à être écocitoyennes.

Toutes les personnes ne sont par ailleurs pas influencées pareillement par les pressions sociales, certaines y sont plus réceptives que d’autres. Certaines sont plus soumises à la pression du voisinage (mes voisins trient donc je trie) et d’autres à la pression représentée par des parents ou amis. Quoi qu’il en soit, cette dimension sociale s’avère être un puissant vecteur d’influence des comportements. En conséquence de quoi, les communications basées sur les normes sociales comme levier s’avèrent plus efficaces que les communications s’appuyant sur la protection de l’environnement.

L’attachement

Une des découvertes les plus significatives concernant l’explication des comportements éco-citoyens est l’émergence du facteur de l’attachement à la communauté. Ce facteur est composé de deux aspects : le souci pour la santé et le bien-être de la communauté (attachement civique) et le souci à maintenir un endroit où il fait bon vivre (attachement à la nature). L’attachement civique correspond à la symbolique sociale de l’attachement, l’endroit symbolise alors une communauté. Le lien qui unit l’individu à la communauté (altruisme, citoyenneté, implication politique, etc.) rend compte du rapport que l’individu entretient avec sa Ville, ses concitoyens et le social en général (se sentir connecté à la communauté, attaché à sa ville, fier de sa ville, sentiment que la communauté reflète ce que l’on est, etc.). La satisfaction qu’il éprouve à l’égard de la politique globale menée par l’agglomération où il réside, mais également les moyens mis à sa disposition pour vivre en harmonie avec son environnement affectent ainsi les pratiques de l’individu.

Eco-friendly.
Marina del Castell/Flickr, CC BY

L’attachement à la nature correspond quant à lui aux caractéristiques physiques, naturelles de l’environnement (apprécier les espaces verts, affectionner les zones naturelles de sa ville, etc.). Les relations/connexions qu’entretiennent les personnes avec un lieu, ou au contraire, leur manque de connexion, influencent leur volonté de protéger l’environnement. Plusieurs travaux sont parvenus à la conclusion que l’attachement à la nature est le plus fort indice des comportements pro-environnementaux.

Les contraintes perçues

Une dernière variable psychologique a une influence considérable sur la réalisation ou non des comportements éco-citoyens. Il s’agit des contraintes perçues. Celles-ci reposent sur l’évaluation du rapport coût/gain que l’individu fait de ses actions, passées ou potentielles. Toutes les contraintes (temps, pénibilité, argent, esthétique, etc.) n’ont pas le même poids selon les individus et les situations. Surtout, les contraintes perçues ont une double fonction. D’une part, elles sont susceptibles de dissuader l’individu de se comporter de telle ou telle façon. D’autre part, elles ont une fonction justificatrice des comportements non respectueux de l’environnement. Par exemple, une personne qui laisse son ordinateur allumé quand il quitte son bureau pourra y trouver une justification dans le temps d’allumage de celui-ci qu’il trouve particulièrement long.

Cette justification-prétexte permet à l’individu de protéger ses convictions (il est important de préserver l’environnement) et l’image qu’il a de lui-même (je suis sensible à l’environnement). Les contraintes peuvent donc être perçues a priori ou a posteriori du comportement. Ainsi, une recherche a par exemple montré que des individus qui ne trient pas leurs déchets à leur domicile perçoivent des contraintes de temps, d’espace et de complexité que ne perçoivent pas des individus qui trient alors même que les contextes de temps, d’espace et de modalités de tri sont similaires. Cette fonction justificatrice est souvent occultée par les communicants et les décideurs qui accordent une importance trop grande à essayer de soulever ces contraintes.

A l’heure où tout va vite, mais également où l’on souhaite que tout aille mieux, les études marketing et stratégies de communication gagneraient à s’intéresser plus avant aux processus psychologiques sous-jacents aux comportements éco-responsables. Bien que plus délicats à mesurer, ils offrent les meilleurs indicateurs des comportements et une option non négligeable pour dépasser les freins et plafonds rencontrés dans les champs du développement durable et de la RSE.

Mickaël Dupré, Chercheur, Docteur en psychologie sociale, Membre associé au CRPCC-LESTIC , Université de Bretagne Sud

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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