Un Atlas du futur des mondes ? Pourquoi faire ?

Publié le 11/05/2016

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L’analyste en géopolitique prospective Virginie Raisson finit actuellement de rédiger le second Atlas du Futur des Mondes. Mêlant chiffres, cartes et diverses analyses, elle cherche surtout à « apporter des réponses aux questions inquiètes que le futur inspire en rappelant qu’il n’y a pas de fatalité mais des choix« . Rencontre.

Bonjour Virginie, vous dirigez le Lépac, un laboratoire de recherche privé et indépendant créé en 1992 avec Jean-Christophe Victor (à l’origine de l’émission Le Dessous des Cartes sur Arte). Qu’est-ce qui nourrit votre analyse et votre façon d’envisager, et de raconter, le futur ?

Je dirai qu’il y a d’abord mes trois jeunes enfants et l’école maternelle et primaire dont ils ont inspiré la création (avec quelques autres). Pour moi, les plus jeunes sont le moyen d’aménager l’avenir. Partant de là, j’ai eu envie de contribuer, même modestement, à émanciper la vision des jeunes (et des moins jeunes) de tout ce qui peut préempter leur futur comme la peur, le déterminisme, le conformisme, l’ignorance, le fatalisme, l’inconscience, le dogmatisme ou le conservatisme.

Il y a aussi les voyages. Ainsi qu’une allergie très développée au conservatisme et aux idées reçues. Pour le reste, je souffre d’une gourmandise excessive pour le chocolat, le design, les bonnes séries TV et le fromage. Je suis touchée par une forme aiguë d’utopie humaniste et atteinte d’une admiration pathologique pour ceux qui ont la pensée libre.

Et puis il n’est rien de plus enthousiasmant ou qui ait plus de sens que de repérer le meilleur des futurs possibles, en échappant pour cela aux habitudes et aux pensées dominantes, aux idéologies et aux conventions, aux logiques partisanes, communautaires ou territoriales. Rien de plus porteur non plus que de conjuguer ensemble la rigueur, l’innovation, l’audace, le désir et le changement.

J’ajoute que partager ce défi avec une équipe de jeunes chercheurs concernés par l’avenir du monde est pour moi essentiel. Savoir que la relève existe, qu’elle est inventive et qu’elle s’empare du monde (qui lui appartient) constitue une réelle source de motivation.

De quoi s’est nourri votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Mon parcours est assez classique, universitaire. Je suis diplômée en Histoire, en Relations Internationales et en Géopolitique. Cela dit, je crois que ma vraie formation, c’est le terrain, notamment pendant les 16 années que j’ai passées auprès de Médecins Sans Frontières. L’éclectisme est également une très bonne école pour apprendre à faire les liens et retrouver le fil de l’Histoire, passée ou à venir.

Vous êtes en train de finaliser la seconde édition d’un atlas sur le futur des mondes. Comment s’y prend-on pour effectuer un tel travail ?

Il s’agit avant de rappeler qu’aucune guerre du futur n’est écrite. Et que, oui, on pourrait nourrir 12 milliards d’êtres humains. Quant à savoir à quoi l’école servira en 2050 ou si l’intelligence artificielle permettra aux robots de prendre le pouvoir sur les hommes : c’est à nous de le décider. A partir de là, l’idée c’est donc d’explorer les futurs possibles pour non pas prédire l’avenir, mais pour en débattre, pour le choisir. C’est en tout cas ce que propose 2038, ce Nouvel Atlas des Futurs du Monde. Ni prévision, ni prophétie. À la place, un livre qui propose de scanner nos habitudes, nos besoins et nos aspirations ; de les projeter dans le futur sur la base des connaissances actuelles ; puis de les repenser grâce à la recherche, l’analyse et l’expérience. Et donc, en s’appuyant sur des cartes, des graphiques et sur les travaux menés au Lépac, ce deuxième livre des Futurs du Monde proposera de repérer et de représenter ce qui structure le devenir de nos sociétés et qui engage le futur mode de vie des jeunes générations.

La prospective est-elle le meilleur moyen de s’approprier l’avenir et d’agir en conséquence ?

À chaque nouvel événement international, à chaque découverte scientifique ou plus simplement, à chaque jour qui passe, l’avenir inspire de nouvelles questions… Où auront lieu les prochaines guerres ? Pourra-t-on nourrir 12 milliards d’êtres humains ? À quoi servira l’école en 2050 ? Est-ce que l’intelligence artificielle pourrait permettre aux robots de prendre le pouvoir sur les hommes ?

Or comme l’avenir n’est pas écrit et que personne ne peut donc encore formuler les des réponses existent, il nous reste à explorer les futurs possibles : non pour prédire, mais pour préparer l’avenir. C’est donc ce que propose l’ouvrage 2038, Les Futurs du Monde. Dans ce livre, ni prévision, ni prophétie. À la place, des textes et des graphiques qui scannent nos modes de vie, nos besoins et nos aspirations ; qui les projette dans le futur sur la base des connaissances actuelles ; puis les repense grâce à la recherche, l’analyse et l’expérience. Et donc, en s’appuyant sur des cartes, des graphiques et sur les travaux menés au Lépac, ce deuxième livre des Futurs du Monde proposera de repérer et de représenter ce qui structure le devenir de nos sociétés et qui engage le futur mode de vie des jeunes générations.

Quels seront les principaux thèmes abordés dans votre atlas ? Que peut-on y apprendre ?

Le livre reviendra avant tout sur les questions démographiques, pour souligner le contraste qui oppose des régions où la croissance de la population ne ralentit pas alors que d’autres connaissent un vieillissement accéléré. À partir de là, nous essayerons de montrer à quoi pourrait ressembler la planète quand elle comptera 9, 10 ou 12 milliards d’individus, et que les classes moyennes, devenues majoritaires, cohabiteront dans des villes sous pression, confrontées en même temps aux inégalités, aux besoins de mobilité et à la demande de sécurité.

Puis nous évoquerons la raréfaction de certaines ressources sous l’effet de la consommation accrue, de l’urbanisation et des dérèglements climatiques. Et nous verrons s’il existe des voies pour répondre à l’exigence de prospérité d’une part croissante de la population mondiale sans risquer de rompre les équilibres économiques et écologiques indispensables à nos besoins, à notre santé et à nos modes de vie ? Sans exposer non plus les populations à plus de conflits, de violence. Autrement dit, nous explorerons comment ajuster nos comportements, nos aspirations et notre économie à cette ère de nouvelles raretés, sans altérer notre bien-être. Nous aborderons ainsi l’économie collaborative, le redéploiement de la production, les régimes alimentaires ou le cycle des produits. Ensuite, nous élargirons cette réflexion sur la transition pour repérer les leviers qui pourraient permettre de changer de paradigme de développement et réconcilier ensemble contrat naturel et contrat social : composition de notre mix énergétique, modes de transport, modèles d’éducation, systèmes de redistribution, système de gouvernance, etc. Dans une quatrième et dernière partie enfin, nous décrirons comment la mutation technologique accélérée de nos sociétés fait basculer le monde d’une ère à l’autre, sans que personne l’ait imaginé ou consenti. Pour exposer certaines des questions que cette métamorphose soulève pour le sort de l’humanité et pour la condition humaine, nous approfondirons par exemple la notion de vie privée, la place du religieux, le rôle de l’éducation ou la place de l’éthique.

C’est le second volume des Futurs du Monde, qu’est-ce qui change d’une version à l’autre ? Comment l’information y est-elle présentée ?

Comme il s’intéresse aux affaires internationales, qu’il raisonne en termes de pays et qu’il s’appuie sur de très nombreux visuels, c’est vrai que l’on continue d’en parler comme d’un atlas. C’est aussi plus facile pour le ranger dans les librairies. En réalité pourtant, on peut à peine parler d’un atlas désormais, car il compte moins de cartes géographiques ou géopolitiques que de graphiques. Depuis que les événements dans le monde obéissent davantage à des logiques de réseaux qu’à des contraintes géographiques, on constate en effet que la cartographie traditionnelle peine à retranscrire les transformations du monde. Que l’on songe aux flux financiers, aux cyber menaces, à la criminalité financière, à internet, aux réseaux sociaux, aux biotechnologies, à l’émergence des classes moyennes ou aux nouvelles formes de gouvernance : la carte de géographie ne nous révèle pas grand-chose en tant que telle. C’est pourquoi j’ai choisi d’explorer de nouveaux champs graphiques. Par exemple, pour associer ensemble des données et des concepts de nature différente, j’ai choisi dans ce nouvel opus d’utiliser la technique du collage. Car elle me permet de replacer les hommes et les femmes que nous sommes à chaque page, et ainsi de rappeler que notre futur n’est pas un concept abstrait, mais qu’il nous engage tous. Et puis, j’ai également décidé de réintroduire les animaux à toutes les pages du livre : pour l’humour et la distance, mais aussi pour rappeler que nous partageons la planète avec d’autres espèces dont notre avenir dépend aussi. Il suffit de penser aux abeilles par exemple. Et ce que j’ai pu constater avec les premières planches de l’atlas, c’est que ce choix esthétique et graphique permet d’avoir plusieurs niveaux de lecture, en partant d’une lecture spécialisée jusqu’à celle d’un livre d’images pour enfant. Bref, autant prévenir les lecteurs : ce deuxième atlas ne ressemblera pas au premier ni à aucun autre dans ce registre !

Pourquoi faire appel au public pour financer votre ouvrage ?

Parce que pour mener à bien un tel projet, notre laboratoire de recherche a besoin d’aide. La préparation d’un ouvrage de ce type engage des dépenses très importantes, par exemple pour rémunérer les personnes, nombreuses, qui mènent les recherches, collectent les données, exécutent les graphiques, créent des cartes, mettent en page, relisent les planches, vérifient l’exactitude de chaque graphique, carte et texte, mettent à jour les bibliographies et les index, etc. Au total, une quinzaine de personnes auront contribué d’une façon ou l’autre.

Il y a aussi les dépenses plus techniques comme l’achat d’ouvrages, l’abonnement à des revues spécialisées, l’accès à des bases de données, les droits photographiques, etc. Il y a aussi les frais de traduction car nous avons décidé que l’atlas devait être publié en même temps en français et en anglais.

Merci à tous ceux qui partagent ce lien et invitent d’autres à contribuer à leur tour, plus nous aurons de chances de relever le défi. Le temps est compté !

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