Et si l’on vivait et racontait la ville autrement ? Avec son projet « Hacker Citizen », le designer Geoffrey Dorne (qui a conçu le logo de Place to B), offre plusieurs clefs pour se réapproprier la cité. Terminée le 22 juin, sa campagne de levée de fonds sur Kickstarter a été un succès. Rencontre.
Quelle est l’idée de cet ouvrage et comment t’est-elle venue ?
L’idée originale de cet ouvrage est née lorsque j’étais encore étudiant à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD). Passionné depuis longtemps par le lien fort entre hacking et design et en plein projet de diplôme, je me lançais alors dans la réalisation de prototypes anti-surveillance.
Nous étions à l’époque dans les débats sur la loi Hadopi et j’ai ainsi réalisé plusieurs objets et prototypes comme un bonnet infrarouge qui pouvait éblouir les caméras de surveillance, un portefeuille pour protéger ses cartes RFID, un générateur d’identités aléatoires mais aussi une clef USB anti-hadopi. Autant de projets qui m’ont donné l’occasion de structurer ma pensée et d’aiguiser aussi mon regard sur une forme de design politique.
Le temps a passé, les idées ont mûries, (moi aussi, un peu), elles se sont développées, cumulées et j’ai également suivi les projets de différents artistes, plasticiens, designers qui ont fait de ce domaine leur spécialité. Toutes ces idées, je me suis alors dit qu’il fallait les mettre en regard, les comprendre, les rassembler. C’était il y a deux ans, et j’ai donc commencé à imaginer ce livre.
En quoi hacker la ville est important ? Est-ce la seule manière de « faire société » ?
Si on prend le temps de lire ou d’écouter Bernard Stiegler, Michel Bauwens, Michel Serres ou encore Michel Maffesoli, on comprend vite qu’il y a des milliers de façons de « faire société » et ainsi de comprendre et d’imaginer ce que cela veut dire. À mes yeux, faire société c’est construire l’individu à son échelle (se construire, s’accomplir) mais aussi à l’échelle du monde. Soi par rapport au Monde, par rapport aux autres. La ville est une des nombreuses facettes du monde que j’ai choisi d’aborder au travers de ces hacks.
Le mot hack justement est important. Comme Tristan Nitot le rappelle dans la préface de Hacker Citizen : « un hack, c’est juste une démonstration d’ingéniosité, informatique ou pas ». Cette démonstration d’ingéniosité est une façon, je pense, de créer un échange entre soi et le monde. On prend au monde pour le donner à soi tout en donnant au monde cette ingéniosité, cette idée, cet éclair de défiance, ce hack. Ainsi, tout l’intérêt du hack, c’est de le re-distribuer, de le donner à voir, à vivre et à comprendre pour que chacun puisse à son tour hacker, détourner, défier, remixer, se réapproprier ce qui l’entoure et partager.
Pourquoi un livre et pas une application ou un site de partage d’astuces, toi qui est blogueur et branché web ?
C’est une excellente question mais elle semble cependant opposer livre et numérique. Dans ce livre, on y parle de site web, d’application, de code QR, de réseau peer-to-peer, d’open source, etc. Même si cela est sur papier, ce livre est résolument numérique ! Le format du livre me semble très adapté au propos puisqu’il permet une non linéarité (le fait de feuilleter l’objet livre) tout comme une collection. Le livre est également un objet qui, à mes yeux, est moins aliénant qu’une application contenue dans un smartphone. Le livre vous laisse d’avantage de liberté. Enfin, ce travail du livre est aussi quelque chose que je pratique régulière puisque dans mon métier de designer, je manipule autant le papier que les pixels, le code.
Qu’est-ce qui explique le succès de la campagne ?
La question, je me la pose encore. Si le livre pouvait vraiment toucher une centaine de personnes, j’en aurais été très heureux ! Mais qu’importe la quantité, ce que j’espère avant tout avec ce livre c’est de me dire que chacun peut regarder la rue, la ville, le monde différemment et peut-être agir en se disant que cela est possible. Passer à l’action donc !