Storytelling & Ecologie #3 – Cyril Dion et Mélanie Laurent

Publié le 25/11/2015

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La plupart d’entre nous est aujourd’hui conscient de l’impact de l’homme sur son environnement. Tous les experts s’accordent à dire qu’il faut réagir rapidement face à l’urgence du réchauffement climatique. Mais à quelques semaines de la conférence internationale sur le climat, la COP21, qui se déroulera à Paris en décembre 2015, les français placent toujours la protection de l’environnement loin derrière le chômage, la délinquance ou le pouvoir d’achat (sondage Ipsos ).

Pourtant, nous parlons bien de survie de l’humanité à moyen, voire même à court terme.

D’où vient ce désintérêt ? Des médias et de la manière dont ils racontent l’écologie aujourd’hui ? Des mots que nous employons pour décrire notre rapport à la nature ? Comment raconter cette urgence vitale à laquelle nous faisons face et que nous devons résoudre, ensemble ? Pour répondre à cette question, Place to B propose une série d’entretiens intitulée « Storytelling & écologie ».

Dossier réalisé par Eve Demange.

 

« Nous ne parlons pas d’écologie, mais d’une nouvelle façon d’envisager le monde. »

Fin de la projection de « Demain », le nouveau film de Cyril Dion et Mélanie Laurent en avant-première : une journaliste s’étonne « ce film n’est pas un documentaire écologique banal mais joyeux ! » Joyeux et écolo, ce serait donc possible ça ?

Depuis des semaines, Cyril et Mélanie parcourent la France pour présenter leur nouveau film « Demain », un véritable concentré d’optimisme et de pragmatisme. A Bordeaux, Place to B a réussi à les attraper ! Ils réfléchissent avec nous à la meilleure manière de transmettre au plus grand monde l’envie de changer.

P to B : Qu’avez-vous voulu raconter avec votre nouveau film ?

Cyril Dion : « Quand on parle d‘écologie, on a souvent l’image du berger un peu idéaliste qui part en sandale élever ses moutons sur le Larzac. Avec ce film, nous avons voulu raconter une autre histoire. Montrer que des solutions pérennes existent et qu’elles fonctionnent à grande échelle comme c’est le cas à San Francisco avec le zéro déchet par exemple.

L’Occident a créé un modèle de développement qui montre actuellement ses limites. Et pourtant, ce modèle reste un exemple pour de nombreux pays. Il était important pour nous de mettre en lumière des gens, en Occident justement, qui mettent en œuvre une autre vision du monde. Nous sommes face à un changement de grande ampleur, une tendance de fond.

Mélanie Laurent : nous espérons produire un déclic dans l’imaginaire collectif. J’ai été frappée par la lecture du livre « L’Espèce fabulatrice » de Nancy Huston. L’auteure nous dit que l’homme se distingue des autres espèces par sa capacité de narration, celle d’inventer des histoires pour donner sens au réel qui nous entoure. (NDLR « Où est l’espèce humaine ? dans les fictions qui le constituent […]. Elaborées au long des siècles, ces fictions deviennent, par la foi que nous mettons en elles, notre réalité la plus précieuse la plus irrécusable. Bien que toutes tissées d’imaginaire, elles engendrent un deuxième niveau de réalité, la réalité humaine, universelle sous ses avatars si dissemblables dans l’espace et le temps. Hantée par ces fictions, constituées par elles, la conscience humaine est une machine fabuleuse… et intrinsèquement fabulatrice. Nous sommes l’espèce fabulatrice. » aux éditions Actes Sud, pp. 29-30)

Oui, nous faisons partie de cette espèce fabulatrice. Nous avons conscience que nous allons mourir et nous nous racontons beaucoup d’histoires pour être plus forts. « Demain, le Film » est né de notre envie commune de raconter une belle histoire. La question que nous nous sommes posée tout au long de la réalisation c’est : est-ce qu’on va y arriver ?

P to B : Comment avez-vous construit votre film, justement, d’un point de vu narratif ?

afficheCyril Dion : En fait, nous avons construit le scénario en suivant notre propre cheminement de pensée. Tout au long du film, nous partageons avec les spectateurs les questions que nous nous sommes posées nous-mêmes pendant des mois. Comment va-t-on se nourrir sainement sans utiliser de pesticides ? Comment va-t-on se chauffer sans émettre de CO2 ?

Nous commençons par interroger l’agriculture, clef pour l’alimentation, puis nous parlons de l’énergie, de l’économie, et enfin de l’éducation. Notre film est bâti sur quatre interrogations essentielles pour le fonctionnement de nos sociétés. Nous soulevons les problèmes. Nous questionnons le système. Et à chaque fois, nous partons à la recherche de solutions, de réponses possibles, mises en œuvre à grande échelle : une capitale, une région ou un pays.

Mélanie Laurent : Notre projet n’était pas de faire un docu écolo mais de décrire une société différente.

P to B: Comment expliquer que le grand public se désintéresse de l’écologie ?

Cyril Dion : je crois que l’erreur c’est de parler d’écologie. L’écologie, qu’est-ce que c’est ? Une manière d’envisager l’Homme dans sa relation avec les autres, avec la société, avec son écosystème. Le mot « écologie » produit l’impression que nous parlons d’une discipline séparée des hommes. Mais nous parlons carrément d’une nouvelle façon d’envisager le monde. En fait, la plupart des gens ont compris le message. Et quand on le leur répète, ils disent : «non mais là, on a bien compris qu’il faut changer. Le problème, c’est qu’on ne sait pas comment le faire. »

Donc nous avons décidé d’arrêter de parler au premier degré, et d’attaquer directement avec le second degré, l’étape d’après, pour raconter comment faire. Nous sommes partis à la rencontre de héros qui font des choses qui marchent. Et quand on voit l’engouement autour de ce film, on ne ressent pas du tout ce désintérêt, au contraire. Les gens ont voulu que nous fassions ce film (NDLR : une partie du film a été financé par 10270 personnes sur la plateforme collaborative KissKissBankBank, avec une levée de fonds record en 3 jours ), ils viennent nous voir, ils nous soutiennent. C’est incroyable.

Mélanie Laurent : nous aussi nous avons changé avec ce film. Nous sommes devenus végétariens par exemple, et ce n’est pas rien ! Chacun évolue à son rythme, à sa manière. Nous avons rencontré cette femme lors d’une projection qui nous a dit : « Ah moi, c’est décidé, je vais trier mon verre ! » Voilà, pour cette personne, le changement commençait par là. Le film souhaite toucher chaque spectateur en partant de l’endroit où il se trouve sans le juger, et lui permettre de se questionner et d’évoluer dans ses habitudes.

P to B : le 2 décembre, ce film sera projeté lors de la COP21, la Conférence internationale sur le climat. C’est un bon moyen de sensibiliser les jeunes générations avec un nouveau récit, à la manière de Nicolas Hulot qui se met en scène avec les blogueurs les plus célèbres du web. Qu’en pensez-vous ?

Cyril Dion : Nous avons monté un dossier pédagogique afin d’obtenir un label de l’éducation nationale qui nous permettrait de projeter le film dans toutes les écoles, justement. Nous avons obtenu un refus.

P to B : Ah oui ?demain1

Cyril Dion : Oui. On nous a répondu que le sujet dont nous parlons n’est pas au programme. Et que « ça pourrait susciter des débats au sein des parents d’élèves ». On nous a dit que nous exprimions une opinion personnelle. Mais notre démarche était plutôt d’interviewer des gens qui ont une pensée importante pour le monde.

P to B : Et comment avez-vous choisi ces gens que vous filmez, justement ?

Mélanie Laurent : Nous avons d’abord voulu que ce film, né d’une initiative très humaine, fasse du bien à ceux qui l’ont conçu, à ceux qui l’ont soutenu, à ceux qui viennent le voir. Nous montrons des gens qui se sont organisés entre eux pour changer les choses dans leur ville, dans leur région, dans leur pays. Leur exemple prouve que ça marche, que ce n’est pas insurmontable à partir du moment où l’on se met en marche. Nous voulions transmettre de l’émotion, sans être dans le voyeurisme, illustrer des récits personnels sans rentrer dans le détail de l’histoire de chacun.

Dans notre travail préparatoire, nous avons choisi nos héros d’abord parce qu’ils étaient passionnants, qu’ils avaient de l’humour et qu’ils étaient touchants. Nous voulions qu’en les regardant vivre, ça donne envie tout de suite. Sur le papier, ils avaient l’air d’être extraordinaires. Et c’est fou mais nous n’avons quasiment jamais été déçus par la réalité. Nous avons été très chanceux. »

P To B : Et très inspirés aussi.

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