La plupart d’entre nous est aujourd’hui conscient de l’impact de l’homme sur son environnement. Tous les experts s’accordent à dire qu’il faut réagir rapidement face à l’urgence du réchauffement climatique. Mais à quelques semaines de la conférence internationale sur le climat, la COP21, qui se déroulera à Paris en décembre 2015, les français placent toujours la protection de l’environnement loin derrière le chômage, la délinquance ou le pouvoir d’achat (sondage Ipsos ).
Pourtant, nous parlons bien de survie de l’humanité à moyen, voire même à court terme. D’où vient ce désintérêt ? Des médias et de la manière dont ils racontent l’écologie aujourd’hui ? Des mots que nous employons pour décrire notre rapport à la nature ? Comment raconter cette urgence vitale à laquelle nous faisons face et que nous devons résoudre, ensemble ? Pour répondre à cette question, Place to B propose une série d’entretiens intitulée « Storytelling & écologie ».
Dossier réalisé par EveDemange
« L’alliance du collaboratif, du jeu et du storytelling donne aux gens la possibilité d’agir. »
Professeur de storytelling Interactif à l’université l’INSEEC et Paris College of Art, membre de Learn Do Share Paris, Mireille Pacquet nous livre ses réflexions sur le pouvoir du storytelling appliqué à l’écologie.
Place To B : Bonjour Mireille, comment se fait-il que l’écologie ne soit pas une priorité pour le grand public aujourd’hui ?
Mireille Pacquet : Je pense que les individus ont une pleine conscience de la crise écologique mais qu’ils ne se sentent pas le pouvoir d’agir.
Nous sommes face à un ultimatum qui plane sur les limites de nos ressources : au niveau du développement des villes, de la pollution agricole. Nous avons atteint un tipping point, un point de non retour et clairement, la prise de conscience est plus aiguë qu’avant. On assiste à des problèmes de tempêtes, d’inondations, de tsunamis, de cyclones. Les gens visualisent bien le problème. Ils réalisent concrètement ce que cela signifie. Nous sommes juste des locataires sur cette planète et nous n’avons pas de passe droit.
Mais avoir conscience du problème ne signifie pas que l’on puisse agir.
P to B : Vous avez abordé cette thématique de l’écologie lors du dernier Learn Do Share à Paris. Peux-tu nous raconter ?
MP : Oui, le thème était « Futures cities » organisé avec la mairie de Paris. Lors du lab créatif, nous avons travaillé sur la problématique « Paris zéro déchet ». Notre objectif : résoudre la problématique zéro déchet à Paris en 2020 comme à San Francisco.
Lance Weiler, le fondateur du mouvement Learn Do Share, Fabienne Olivier et Alexis Niki, productrices de Learn, Do, Share Paris et FreedomLab ont mené cet atelier créatif avec 40 participants : des storytellers, des architectes, des étudiants, des game designers, des urbanistes. L’objectif ? Réfléchir à cette problématique en y intégrant une forte dimension collaborative. Nous avons utilisé une méthode utilisant le storytelling et le design thinking. Tu utilises le jeu, tu imagines un scénario sur le futur pour construire des récits.
La narration est un levier puissant pour agir. Ce qu’il y a de magique dans l’alliance du collaboratif et du storytelling c’est que tout un coup, ça donne des super pouvoirs aux gens, de l’empowerement. Nous avons vu nos participants évoluer et passer par des étapes successives pendant ces deux jours.
D’abord, ils sont arrivés au lab décidés. Puis, des informing speakers, des spécialistes du sujet, Laura Chatel de Zero Waste et Fabienne Giboudeaux de la mairie de Paris sont venus. Ils ont donné des chiffres, des faits : nous produisons 314 kilos de déchets par habitant et par an en France. Les participants du lab ne connaissaient pas ces chiffres. Ils sont passés par une phase d’abattement. Ils se sont sentis totalement impuissants mais décidés à passer à l’action. On a alors vu une production de post-it. Ils se questionnaient sur la meilleure manière d’agir. Ensuite, grâce à la narration et au jeu, nous avons pu occire cette bête immonde et trouver des solutions au problème. On suit un processus créatif suivant le modèle EDIT :
- Une phase d’empathie : on définit le problème ensemble
- Une phase de création intense : on se lâche et on laisse aller son imagination, même sur les idées les plus folles.
- On teste, on prototype et on réitère pour finaliser jusqu’à ce que l’on arrive à une solution tangible que l’on soumet.
Une des solutions que l’on a trouvé, c’était un système de poubelles intelligentes connectées. Elles avaient plusieurs utilités dont l’éducation et la sensibilisation. Les participants ont voulu aborder cette dimension pédagogique, essentielle dans la réussite d’un projet comme celui-ci car nous devons changer nos comportements pour pouvoir prendre de bonnes habitudes au quotidien.
P to B : Quel est le problème des médias avec l’écologie ?
MP : Nous devons faire l’inverse de ce que font les médias en général. Changer notre façon de nous raconter l’écologie. Il faut donner aux gens une capacité d’agir, leur transmettre des armes douces. Les histoires permettent de fédérer des communautés pour pouvoir agir, notamment grâce au pouvoir cognitif du storytelling. Les écolos doivent commencer par raconter des histoires, mobiliser par le jeu et créer des interactions.
C’est ce que teste David Dufresne, membre de l’ Open Documentary Lab du MIT de Boston (Massachussetes Institute of Technology) avec les nouvelles formes de narrations et d’interactions par son jeu documentaire interactif comme Fort Mc Money par exemple. Les nouvelles technologies et le transmedia renforcent le pouvoir de nos histoires grâce à la dimension immersive et participative.
Certes, les chiffres restent importants pour faire passer l’information. Mais raconter une histoire permet de sensibiliser davantage. Le documentaire de David Dufresne permet aux joueurs de se sentir acteurs du changement et pas seulement passifs.
P to B : Comment expliquer l’efficacité du storytelling ?
MP : La narration te connecte à quelque chose qui est en toi. Par un processus d’identification à une situation ou à un personnage, elle te ramène à un vécu intérieur. Et si tu es touchée, toi, alors tu vas avoir envie d’agir. Quand tu regardes un documentaire sur la fonte des glaces par exemple, c’est effrayant et en même temps c’est très extérieur à toi. Tu ne rencontres pas forcément de résonance interne.
Cette résonance, tu la génères aussi par l’interaction, l’échange avec des communautés. Les groupes de paroles ouverts permettent à chacun de s’armer psychologiquement. Désormais les gens se fédèrent sans passer par le politique car ils peuvent se mobiliser et agir ensemble grâce aux réseaux.
P to B : Est-ce que tu peux nous citer de grands conteurs modernes ?
MP : Pour moi, Pierre Rahbi est un grand conteur moderne. Il se rapproche du conteur à l’ancienne, mais avec une vision juste, réaliste et actuelle. Il dénonce beaucoup de choses avec un très fort sens de l’à propos. Il sensibilise les gens avec des histoires comme celle du colibri : « je fais ma part », je fais ce que je peux, là où je peux, et même si ce n’est pas grand-chose, ça compte.
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