Vaia Tuuhia – Série de portraits Le Déclic #1

Publié le 02/06/2017

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Le changement vers un nouveau mode de vie désirable ne se fera pas sans notre énergie, nos chagrins, notre colère, nos utopies et nos espoirs incarnés en réalité. Qu’est-ce qui nous fait passer à l’action ? Quel est ce moment du déclic où nous nous levons enfin pour refuser le monde tel qu’il va pour inventer le monde qui nous plaît ?

Voici quelques réponses données par des acteurs du changement au quotidien.

Vaia : « Le choix du développement durable, c’est pouvoir faire ce que tu peux, là où tu te trouves. »

Qu’est-ce qui peut bien pousser Vaia Tuuhia à se lever tous les matins pour changer le monde ? Où cache-t-elle son secret : dans ces chaussures rouges comme des boules de Noël, si pimpantes qu’on les dirait tout droit sortie de l’armoire de Mary Popins ? Ou dans ces cheveux libres, toujours en mouvement ? Sur le terrain, elle prépare inlassablement la transition énergétique. Portrait d’une guerrière moderne, une amazone du XXIème siècle, sage et révoltée.

Vaia Tuuhia arrive, souriante, un peu avant une COP, comme toujours depuis 11 ans. Ces rendez-vous annuels rythment sa vie. Elle voyage au gré de l’agenda international : Pérou, Danemark, Chine, Paris, Marrakech pour faire avancer la transition du monde vers un développement sans carbone. Cet après-midi-là, elle trouve le temps de nous confier son histoire entre deux avions, trois réunions, deux ateliers de co-construction de 2050 et une monstrueuse pile de dossiers. Elle nous raconte comment elle est passée d’une vie « traditionnelle », à l’engagement pour la transition énergétique.  A grand renfort de gestes, avec une simplicité native, elle déroule le chemin de vie qui l’a amenée à se lever pour imaginer un futur désirable à l’humanité.

La quête, du web, à Bruxelles en passant par l’Asie

Après un master en école de commerce, elle aurait pu faire carrière dans une grande entreprise. Mais pour trouver sa voie, elle préfère prendre les chemins de traverse. Elle s’engage dans l’industrie du web naissant et rejoint les pionniers du numérique. « Quand je suis motivée, je peux travailler pour deux. Et ce qui me motive, c‘est le sens que l’on peut donner à ce que l’on fait, vivre suivant ses valeurs, faire des rencontres intéressantes. J’ai cherché du sens pendant 5 ans. Et puis finalement, je sentais que je n’y étais pas. J’avais besoin de m’arrêter et de réfléchir. »

Après un détour par l’Asie et la rencontre avec l’association Pour un sourire d’enfant au Cambodge, elle revient à Paris. « Là-bas, j’ai fait ce que je savais faire. Je n’avais pas de compétences utiles sur le terrain. » L’expérience lui apprend la persévérance, la patience et l’humilité. « Je suis revenue avec un certain recul. Quand je me lançais dans quelque chose, je savais que si ça ne marchait pas tout de suite, c’est que ça ne devait pas se faire. Cela m’a permis de comprendre qu’il n’y a pas qu’un seul chemin. A un moment la porte finit par s’ouvrir. »

Déterminée à faire de son engagement un métier, elle achève une formation « environnement, politique de la ville et urbanisme » au CNAM et se trouve embauchée à Bruxelles comme chargée des affaires européennes pour la délégation de la Polynésie française. Là, elle travaille pour faire émerger les enjeux des territoires d’Outre-Mer et leur vulnérabilité face aux cyclones et aux évènements extrêmes dans les négociations internationales.

La Polynésie, les racines

« Je vis et j’ai grandi à Paris mais je suis d’origine polynésienne par mon père. Et avec un nom comme le mien, où que tu ailles on te demande d’où tu viens ! Je suis allée pour la première fois en Polynésie quand j’avais 5 ans. Ensuite, j’y suis retournée régulièrement. Quand tu viens d’une île comme Raiatea, tu comprends que tu es toute petite dans un grand univers. »

Lorsqu’elle évoque son île soudain, les mots se mettent à couler comme si elle se souvenait que son prénom, Vaia, signifie l’eau dans le langage de ses ancêtres. Elle se rappelle les récifs, l’odeur de la mer, des fleurs de tiaré et de frangipanier, le vert des arbres, la simplicité d’une vie en harmonie avec la nature. « Là-bas, les couleurs sont franches. L’océan est bleu, vert, mauve à cause de la richesse et de la variété du sol sous-marin. Quand tu arrives on t’accueille avec des couronnes de fleurs. Tu cours sur les récifs, tu apprends à râper du coco, à tresser des sacs avec des feuilles. Quand j’étais petite, j’apportais des bonbons parce qu’ils n’en avaient pas. La vie était simple. Pour se faire belle, les filles se mettent une fleur à l’oreille. J’ai vécu cette simplicité, je l’ai touchée dans mes souvenirs.»

Dans son île, elle apprend la dépendance de l’homme aux ressources naturelles et leur fragilité face aux caprices du climat. « J’ai déjà pris un cyclone. La nature peut créer des vagues qui se soulèvent. Le vent se lève, la mer s’agite. Le ciel gronde. C’est violent. Tu accroches tout et tu vas te cacher dans une grotte. Même si maintenant, ils construisent des maisons anticycloniques. »

Son arme, patience et détermination pour changer le monde

Devenue maman, elle revient en France pour devenir déléguée générale de l’Association 4D, « Dossiers et débats pour le développement durable », avec une mission : accompagner les citoyens dans la transition énergétique, vers un développement compatible avec la préservation de la planète.

Inlassablement, elle décrypte l’information, particulièrement au moment des COP, les Conférence Of parties, qui réunissent les pays chaque année afin de trouver des solutions concrètes pour lutter contre le changement climatique. « Le rapport du GIEC nous dit que nous devons diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre en 2050. Ce sont des objectifs universels très ambitieux pour tous les pays. Mais quel type de monde cela peut construire ? Nous devons montrer les perspectives de réussite concrète, ce que cela change en termes de bâtiment, transport, eau, forêt, agriculture. »

Plus de dix ans après, elle réaffirme son engagement avec un sourire confiant : « Un monde avec moins d’injustice, moins de carbone, moins d’inégalité, j’y crois vraiment ! Mais c’est parfois difficile de s’investir autant dans les COP en sachant qu’on est sur des temps très longs. Tout ne se change pas du jour au lendemain. Tu voudrais parfois que ça aille plus vite. Les COP sont des points de passage pour y arriver. Ce que je trouve intéressant ce sont les négociations, la sensibilisation des populations. »

Réconcilier l’homme avec la nature, ramener l’air dans nos villes se fera, pas à pas. L’eau de la rivière finit toujours par revenir à la mer, non ?

« A quel moment tu contribues à maintenir ce qui est bien et à changer ce qui est injuste ? Le choix du développement durable, c’est pouvoir faire ce que tu peux là où tu te trouves. C’est une manière de vivre avec sensibilité, avec empathie. »

La COP21, 1 an après ?

Un an après la COP 21, la lecture du monde est devenue encore plus complexe, avec des régressions et des fuites en avant de plus en plus visibles, mais a contrario, l’Accord de Paris reste un signal très positif.

Des pays en développement ont créé une plateforme et s’engagent dans du 100% renouvelables. Même aux États-Unis avec l’accès à la présidence de Donald Trump, des États pesant lourd dans l’économie américaine montrent encore plus de volontarisme vers une transition écologique. Pour les deux prochaines COP, il s’agit de réunir les fonds pour le climat, mais aussi de préparer à l’émergence de projets.

La France a lancé son obligation verte et la finance construit des règles favorables aux investissements durables. La gouvernance se construit. Des innovations sociales, techniques émergent de toute part et j’attire l’attention sur celles qui s’appuient sur la connaissance du vivant. Nous voyons une fracture historique entre des visions de développement. Je suis davantage confiante dans les acteurs territoriaux, dont les actions agrégées se refléteront au niveau des États.

Trump annonce le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris

Comment te sens-tu, toi qui lutte au quotidien pour faire avancer les négociations au niveau international ?

Je participais à la COP22 au moment de l’élection de Donald Trump et ce qui était déjà perceptible à ce moment là se confirme. Un président erratique, une société américaine divisée, redynamisée politiquement contre l’obscurantisme, des acteurs comme les villes ou les états fédéraux qui s’affirment au niveau international… Un pays comme les États-Unis qui a ratifié l’accord de Paris, en même temps que la Chine, est attendu sur la scène internationale.

Trump avait diabolisé la lutte contre le changement climatique lors de sa campagne. Son élection a créé un flottement dans les négociations internationales. Des membres de la délégation américaine portaient en novembre dernier des badges « not my president »…

Je me sens comme au moment de son élection choquée par l’arrogance de cet homme, attentive aux mouvements de la société civile.

Qu’est-ce que cette décision des U.S. peut changer, d’après toi, pour l’avenir des accords de Paris ?

Sa décision aujourd’hui n’empêchera pas la mise en vigueur par les autres pays qui ont déjà ratifié l’accord de Paris. Elle pourra la ralentir et inciter ceux qui n’ont pas ratifié à rester en dehors comme la Russie. Les négociations internationales vont prendre un coup. D’autant que la dynamique internationale de 2015 reposait aussi sur le triptyque suivant :

  • Financement à Addis-Abeba en juillet,
  • Objectifs de développement durable universels en septembre
  • et l’accord de Paris en décembre.

L’annonce du retrait des États-Unis, qui peut n’être effectif que dans un an comme dans quatre ans, a d’abord des conséquences financières pour le fond vert et donc l’accès pour les pays les plus pauvres à des capacités d’investissement pour un développement bas carbone. Dans 3 ans, les pays pourront ils comme prévu au sein de la convention climat faire l’état des lieux de leurs progrès et pousser l’ambition pour atteindre une trajectoire 2 degrés au lieu des 3 voire 3,5 degrés actuellement prévisibles ? c’est là qu’il faut regarder du côté des collectivités, des villes, des entreprises, des citoyens… Les transitions sociales et écologiques visent le monde d’après.

Les sociétés ont toujours visé une certaine idée du progrès. Et celui-ci s’incarne maintenant pour une majorité dans une ère post-carbone. La relance du charbon aux États unis n’est que le fruit de lobbys court-termistes. Pendant que Trump confirme l’isolationnisme des états unis, la résistance s’organise, la Californie ou New York en tête. Avec 70% de la consommation énergétique dans le villes ça a un sens. Bloomberg martèle déjà que les villes et les entreprises pourront maintenir le cap.

Maintenant au delà de l’attrait des marchés, il y a aussi des voix qui s’élèvent pour plus de solidarité, une autre vision du bien être… et cela créé de nouvelles alliances mondiales, moins verticales (venant des États) et plus horizontales (entre sociétés civiles). Cela suppose de grands sursauts participatifs et d’éducation. Il faut embarquer les citoyens, raccourcir les courroies de transmission entre ces grandes décisions et les quotidiens, ne pas traiter du climat sans tenir compte des besoins des gens, ne pas exclure en créant un fossé d’expertise ou une satisfaction d’entre soi… Je crois en cette reconfiguration.

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