Génération Favela, où comment les jeunes brésiliens réinventent leurs quartiers

Publié le 06/06/2016

Generation Favela
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Voilà un joli petit ouvrage tout juste publié aux Ateliers Henry Dougier : co-écrit par Marie Naudascher et Hélène Seingier et illustré par Alexandre de Maio, il met en valeur sous un nouveau jour les quartiers trop souvent caricaturés des favelas de Rio de Janeiro, des périphéries de São Paulo et de toutes ces zones urbaines que le Brésil oublie et stigmatise depuis des décennies. Pour cela, les auteurs sont allés à la rencontre de ceux, créatifs, débrouillards et insoumis qui luttent astucieusement contre la violence et les préjugés dont ils sont généralement affublés. Rencontre.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ? Est-ce un projet sur lequel vous vous êtes rencontrés ou vous connaissiez vous avant ?

Hélène Seingier : Marie et moi nous sommes connues en 2013 à Rio de Janeiro. J’arrivais tout juste comme correspondante et elle y était installée depuis plusieurs années. Nous avons beaucoup collaboré depuis. En fait l’idée du livre est venue d’une méprise : lorsque les Ateliers Henry Dougier ont lancé la collection « 17-25 », j’ai pensé qu’il s’agissait d’ouvrages consacrés aux personnes de cette tranche d’âge. Et je me suis dit : on connaît des dizaines de jeunes formidables qui changent leurs favelas, mettons les en valeur ! Marie a immédiatement accepté – elle était partie s’installer à São Paulo depuis, d’où l’idée de présenter des initiatives dans ces deux mégapoles. Et ce n’est qu’une fois le projet lancé qu’on a réalisé que « 17-25 » désignait en fait le format des livres de la collection !
Alexandre De Maio : Marie m’a contacté et parlé de ce projet à l’été 2015. J’avais déjà écrit un livre, sous forme de roman graphique avec Ferréz, le chef de file de la littérature marginale, qui a été traduit en France, aux éditions Anacaona : « Favela Chaos ». Au Brésil, nous avions mis 8 ans à produire ce livre, qui raconte le parcours d’un bandit de São Paulo dans les années 2000. Quand j’ai compris que nous aurions six mois pour réaliser les enquêtes, produire les dessins et rendre notre manuscrit, je me suis dit que c’était un beau défi à relever.
Marie Naudascher : J’avais écrit en 2014 « Les Brésiliens », dans la collection « Ligne de Vie d’un peuple », déjà aux éditions Ateliers Henry Dougier. Le projet « Génération Favela » m’a tout de suite plu, dans la mesure où nous travaillerions en équipe. Ne connaissant pas grand chose à l’univers de la bande-dessinée, j’ai aussi vu cette collaboration comme une opportunité de présenter aux lecteurs un support texte/image qui puisse intéresser un public différent.

Quels sont vos parcours respectifs ?

Génération Favela

luta pela paz perfil

Hélène : je suis journaliste de presse écrite, radio et télévision, obsédée par l’idée que le journalisme doit transmettre l’envie d’agir plutôt qu’un sentiment d’impuissance. Je travaille beaucoup sur les questions de développement durable, d’économie sociale, d’engagements citoyens… Les gens qui améliorent le monde devraient avoir autant de place dans les médias que ceux qui l’enlaidissent, (au hasard, les serial killers, les flics pourris et les anonymes devenus starlettes de la télé réalité…). Je viens de passer trois années au Brésil comme correspondante pour l’AFP, les médias d’outremer ou encore en intérim pour Radio France.

Alexandre : Je suis un autodidacte. J’ai commencé à dessiner à l’adolescence, sans avoir jamais l’impression de travailler. À 20 ans, j’ai crée la revue « Rap Brasil », la premier magasine dédié au rap et au hip-hop. Pendant dix ans, nous avons accompagné les groupes et interviewé les nouvelles figures de la scène hip hop. Hier, à la Maison de l’Amérique Latine, alors que nous présentions le livre « Génération Favela », un brésilien m’a cité l’article qui l’avait marqué, et l’a poussé à étudier et à ne pas abandonner l’école ! Très émouvant. Ensuite, petit à petit, j’ai développé le BD journalisme au Brésil, à travers des reportages réalisés pour des revues comme Fórum, le journal Estado de São Paulo ou le site de la Folha de São Paulo. Pour les Jeux Olympiques, j’ai produit une grande série sur l’histoire du sport pour le portail uol. Et je continue à militer pour promouvoir les projets culturels et sociaux de la périphérie.

Marie : Après cinq années à Rio de Janeiro, je vis maintenant à São Paulo. Je travaille comme journaliste et productrice. En tant que journaliste, je collabore à plusieurs radios francophones, comme RTL, Radio Vatican, la Deutsche Welle et Radio Fribourg. J’ai crée cette année l’agence « Obrigada Produção », pour promouvoir les projets et personnes qui agissent entre la France et le Brésil.

Comment avez vous sélectionné les différents profils dans l’ouvrage, car ils sont tous plus fascinants les uns que les autres !

Marie : Nous tenions à conserver un équilibre hommes/femmes et Rio de Janeiro/ São Paulo. Même si ce fut un casse-tête, cette exigence nous a permis de choisir, parmi la myriade de projets et de jeunes dont nous voulions parler, les thèmes sur lesquels nous nous sommes appuyés pour raconter, aussi, le Brésil de 2016. Nous ne voulions pas proposer aux lecteurs une galerie de portraits, mais une sélection d’histoires qui raconte une problématique clé pour aborder le Brésil, comme le logement, le racisme, l’accès à l’emploi.
Hélène : Tous ces jeunes sont incroyables d’énergie et de combattivité. Ils auraient toutes les raisons de céder à la fatalité mais au contraire, ils s’engagent à 200% ! La plupart sont des jeunes que nous avons connus au cours de nos reportages. J’avais écrit sur les rencontres littéraires dans les banlieues pour le magazine Lire, par exemple. Et l’énergie des organisateurs de ces événements poétiques au milieu des favelas m’avait fascinée. C’est tellement éloigné des clichés que l’on a sur ces quartiers ! On a voulu aussi balayer l’ensemble des grandes problématiques auxquelles font face les favelas, comme la question des droits des homosexuels et transsexuels. Dans ce cas précis, j’ai demandé conseil à des militants du secteur et plusieurs personnes m’ont parlé de Gilmara, cette activiste qui a organisé plusieurs Gay Prides dans la favela de Maré, malgré le poids des trafiquants mais aussi des églises évangéliques. La lutte de Thainã et d’autres pour des médias plus attentifs aux favelas m’a été signalée par une amie, chercheuse dans le domaine, que je remercie au passage.
Alexandre : je connais le rappeur Emicida depuis plus de dix ans, donc je savais qu’il serait partant pour nous raconter son parcours. Quand on a voulu parler du graffiti, je n’ai pas hésité, et nous sommes allés voir le collectif OPNI, qui a peint les façades des maisons dans la favela de Vila Flávia, à São Paulo.

L’ouvrage a-t-il été écrit en portugais aussi ?

Génération Favela

Taina perfil

Marie : à chacune des présentations au Brésil, c’est la première question qu’on nous pose. Grâce aux dessins d’Alexandre, nous pouvons présenter le livre dans des écoles, et parler des préjugés, de la représentation des favelas dans les grands médias, et échanger avec les adolescents. Nous verrons en fonction des propositions de la part d’éditeurs brésiliens.

Alexandre de Maio illustre à merveille les textes, il nous plonge vraiment dans le Brésil d’aujourd’hui. Comment travaille-t-il ses illustrations ?

Alexandre : Le processus commence avec des recherches sur les univers et projets des personnes à dessiner. Ensuite je fais une ébauche à la main pour repartir les proportions et les espaces. Je dessine sur une table numérique, parfois à partir d’une composition photographique, après je réalise la colorisation sur Photoshop. Je lis beaucoup d’auteurs étrangers, parmi mes influences BD européennes et japonaises, j’adore Moebius et Katsuhiro Otomo.

Le Brésil traverse actuellement des moments politiques compliqués, il y a Zika aussi, les JO à venir… comment cette génération vit-elle les choses ?

Génération FavelaHélène : La mobilisation sociale et politique de ces jeunes est à imputer en partie aux gouvernements de gauche successifs qui ont dirigé le Brésil. Ils sont les premiers de l’histoire de leur famille à avoir pu étudier, grâce à des politiques de bourses et de quotas dans les universités. La redistribution de revenus, l’amélioration de la scolarisation, la démocratisation de l’accès à la culture leur ont fait prendre conscience qu’ils avaient des droits, comme tous les autres citoyens… Et tout à coup ce sont les politiciens les plus réactionnaires du pays qui s’emparent du pouvoir, en lançant la destitution de la présidente. Ils sont pour la plupart misogynes, racistes, intolérants envers les minorités religieuses ou sexuelles et partisans d’un rétrécissement de la santé publique et des aides sociales, par exemple. Sans parler de la suppression du ministère de la Culture ! Pour cette génération qui se levait enfin dans les favelas, c’est un coup terrible. Je pensais qu’ils seraient les premiers d’une très longue série, que les choses allaient changer en profondeur dans ces quartiers. Mais aujourd’hui je crains qu’ils ne soient qu’une exception dans la longue histoire de soumission des habitants des favelas…
Alexandre : Cette génération a grandit avec un gouvernement de gauche au pouvoir. Ils sont aujourd’hui inquiets de leur futur, car leurs droits peuvent être annulés du jour au lendemain. Tous les acquis sociaux peuvent disparaître. Par exemple, la tentative d’élimination du ministère de la culture, par le nouveau gouvernement de Michel Temer, a montré que même ce que nous pensions évident, défendre le droit de valoriser de nouveaux auteurs, de produire de la musique, de créer de nouveaux contenus peut être annihilé.

++ Retrouvez le travail d’Alexandre De Maio : www.alexandredemaio.com.br

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