Une sortie de crise #2 – Le système monétaire et financier

Publié le 25/11/2015

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Décembre 2030, ma fille a 15 ans. A son invitation, je vais devoir présenter à sa classe de lycéens un monde qui n’existe plus. Comment leur expliquer nos incohérences et nos échecs de l’époque?

L’année 2015 fut compliquée. On parlait même en France de malédiction des 15, les années maudites; les débuts de siècle qui annonçaient de nouvelles tendances: 1715 mort de Louis XIV, 1815 Waterloo, 1915 la « Grande Guerre », 2015 … la COP21 ?*On peut aussi voir cela comme des fins de cycles antérieurs, 1789 la Révolution Française, 1889 l’émergence de l’Industrie, 1989 le triomphe du Libéralisme…

Dossier réalisé par Aymeric Jung, spécialiste de la finance responsable et durable et passionné d’agriculture (bio!).

Relire la 1ère partie  :

Une sortie de crise #1 le système alimentaire

 

2. Le système monétaire et financier

Comment le monde dans lequel vous vivez aujourd’hui a-t-il pu se mettre en place ? D’abord, comme je l’ai évoqué devant vous avant la pause, une rupture écologique s’est produite dans le système alimentaire, grâce à l’intelligence collective.

Enfin, nous avions compris qu’il fallait privilégier la préservation de l’environnement et de ses ressources, la qualité et le local, bases de toute résilience sociale et économique. Mais cette rupture n’a pas pu se faire sans un changement des mentalités au sein de notre ancien système économique et plus particulièrement du système financier.

Des notions abstraites

Vous parler aujourd’hui de « taux d’intérêt variables », de « dette publique », du « déséquilibre des comptes sociaux », ou encore de « bourse des valeurs », de « cotation » et de « spéculation », me semble vraiment difficile. C’était déjà compliqué à l’époque, tant ces notions étaient considérées comme abstraites et sans substance réelle ; alors aujourd’hui, ma tâche n’en est que plus compliquée !

Les échanges économiques communs en 2030,  tels que l’investissement éthique, la mesure d’impact, le soutien à l’économie réelle, l’alignement des objectifs des investisseurs avec les entreprises pour une création de valeur globale1, le juste partage des richesses produites par l’entreprise entre rémunération du capital et futur développement, les monnaies locales et le revenu de base  n’étaient que très marginaux ou jugés fantaisistes.

Paradoxalement, les titres financiers, notamment les titres de propriété (actions et obligations) étaient alors davantage considérés comme des supports d’échanges monétaires spéculatifs que des investissements dans l’économie réelle !

Partons donc de ce que vous utilisez aujourd’hui pour expliquer la situation jusqu’en 2020, lorsque les Etats ont mis à zéro toutes leurs dettes et les comptes publics, définitivement bouleversés et devenus incontrôlables, après les bulles spéculatives de 2008 et 2015.

Une course effrénée au profit

L’investissement éthique, ou Impact Investing -la mise en commun de capitaux et d’expertise pour la réalisation d’un projet visant l’amélioration sociale et environnementale- ne représentait que 0.1% des actifs financiers mondiaux gérés par des institutions (comme des fonds de placement, des banques ou des grands groupes d’assurance).

Une part un peu plus grande, 10%, représentait les investissements dits socialement responsables (ISR) et environnementaux (ESG). Les critères ISR ESG visaient à écarter d’une politique d’investissement les entreprises dont l’activité apparaissait nocive comme l’armement, ou polluante comme la chimie.

Ainsi 90% des investissements soutenaient directement ou indirectement des entreprises qui ne privilégiaient qu’une maximisation financière court terme de leurs bénéfices. C’était la poursuite d’une augmentation de la marge commerciale, donc une course effrénée à de nouveaux produits, fabriqués au plus bas coût possible.

Comme pour l’agriculture, la recherche d’une croissance quantitative et d’un coût minimisé faisaient espérer plus de profits futurs et provoquaient la hausse du prix de l’«action» de l’entreprise. Cette dernière n’était plus qu’un titre, que l’investisseur pensait revendre plus cher à un autre acheteur, que tout le monde espérait fourguer plus tard dans une ronde infernale. Quand je dis « plus tard », cela pouvait être justes quelques secondes, voire moins !

Vous n’y comprenez rien ? Vous avez bien raison mais cette raison nous manquait à l’époque. Vous êtes perdus ? Alors enfin un point commun avec les années 2005-2020,

Seuls les ordinateurs et les algorithmes de trading y trouvaient une logique interne, le bon sens de leurs programmeurs ayant totalement disparu. Même les dirigeants des institutions des marchés financiers étaient incapables de les expliquer (comme lors des enquêtes parlementaires de l’après crise de 2008).

Rendre la spéculation inutile

En se concentrant uniquement sur l’augmentation ou la libéralisation de la puissance des systèmes déjà en place, nous n’avons qu’ajouté de la complexité à un système qui ne fonctionnait plus.  Les crises boursières devenaient de plus en plus fréquentes et violentes (1987, 1994, 2001, 2008, 2015) jusqu’à l’effondrement de la dette publique (2020), impossible à rembourser. Pablo Servigne et Raphël Stevens l’avaient d’ailleurs prophétisé dans leur ouvrage Comment tout peut s’effondrer.

Pour résumer, l’investissement tel qu’il est pratiqué désormais, appelé Capital Patient, n’existait presque pas. Inspiré par Slow Money (W.Tasch) et Capital Institute (J.Fullerton), mis en place sous forme de Royalties ou Evergreen Direct Investment, il consiste à apporter des capitaux à une entreprise et à recevoir en contrepartie un pourcentage de ses revenus, à l’intérieur d’un minimum et maximum pré-défini.

Aujourd’hui, vous êtes éduqués à ces principes éthiques de vision long terme et collective, mais à l’époque cette vision était encore très minoritaire ! Il nous a fallu ramener l’utilisation spéculative du capital vers une activité bénéfique pour tous. Les tentatives pour réguler la finance ou mettre de l’éthique dans la finance ont vite étaient abandonnées, car contournées.

Au lieu d’interdire la spéculation, nous avons réussi à la rendre inutile. Par exemple, au lieu d’interdire la spéculation sur les matières premières agricoles – pourtant jugée inacceptable par beaucoup après la crise des prix agricoles de 2007- nous avons rendu les régions souveraines dans leur alimentation et fortement réduit la consommation d’animaux. Résultat : les échanges mondiaux de céréales ont chuté.

Cela n’avait plus de sens de fixer des prix sur les marchés financiers – prix auparavant déterminés par seulement quelques gros producteurs ou acheteurs mais imposés à tous. Aussi l’essor de l’économie collaborative et du financement participatif (crowdfunding) furent le signe d’un changement d’approche et de déstabilisation des anciennes banques.

D’un point de vue purement financier, nous avons rendu l’échange à court terme et l’intermédiation inutiles. Nous avons rétabli une relation de partenariat entre investisseurs et entreprises, sans que celle-ci ne se termine par une revente facile, base des spéculations passées. L’investissement est désormais au service de l’entreprise, lui-même au service de l‘humain, alors que c’était l’inverse jusqu’à la rupture de 2015-2020.

On parlait après 2008 d’une finance rentière et spéculative, qui privatisait les gains et socialisait les pertes, avec des banques qui ne consacraient que « 17% de leurs ressources à l’économie locale, contre plus de 41% pour les multinationales, 19% aux marchés financiers d’autrefois, 10% au financement des Etats et 13% pour des opérations de refinancement entre elles. » Gaëtan Mortier parlait aussi de la finance éthique comme d’un « grand malentendu ».

Monnaie locale et revenu de base

Concernant la monnaie, l’innovation ici ne fut pas seulement technologique comme cela est souvent compris, mais aussi sociétale. Restauré par quelques pionniers au début du XXIème siècle, son rôle fondamental d’instrument d’échange – et non de réserve de valeur -lui a été rendu en 2020. Pourtant déjà dématérialisée et sans support réel, illusoire sur un compte en banque, la monnaie était « thésaurisée» alors qu’historiquement dévaluations ou cours des changes menaient à des pertes considérables.

Ainsi a été réintroduit le principe de monnaie locale permettant à chacun d’identifier ses besoins et ses envies, individuels et collectifs. Ces monnaies locales permettent désormais d’avoir de vraies politiques locales sans passer par la complexité passée des impôts sans cesse contestés et toujours mal appliqués. Enfin, socialement un immense progrès collectif a été fait lorsque le revenu de base minimum a été instauré.

Impossible à mettre en place car trop polémique dans notre système financier passé, il a été plébiscité dès qu’il a été proposé en monnaie locale. Cela a permis de concilier, comme vous le savez si bien maintenant, priorités immédiates et de long terme, tout en se passant des systèmes de transferts sociaux étatiques ou d’un système de retraite par répartition, régulièrement modifié entre 1995 et 2020, jusqu’à son implosion.

L’autre implosion dont je voudrais vous parler après la pause est celle du concept ancien de la ville centralisée, congestionnée par les transports et les déchets bien avant les années 2000. Crise résolue entre autre grâce aux changements du système financier que je viens de vous décrire. Sans cela, nous aurions vécu une période révolutionnaire sans aucun précédent historique.

 

1 : Article à paraître «Du nouveau en financement externe d’entreprise et son impact sur la création de valeur » A.Jung. La valeur pour l’entreprise n’étant plus que financière mais aussi sociale, environnementale et humaine grâce à une gouvernance adaptée.

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