« If not Us, then Who ? » : les Indigènes nous racontent leur terre

Publié le 15/05/2015

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Lui, c’est Paul Redman. Son dernier projet s’appelle : If Not Us then Who. Rencontre.

© If Not Us then who

© If Not Us then who

  • La forêt en plein coeur

Parti dans les régions reculées depuis 12 ans, avec sa caméra, c’est en 2006 qu’il réalise son premier documentaire sur les communautés indigènes d’Indonésie.
Avec son équipe (dont fait aussi parti son frère Joël), ils parcourent le Brésil et l’Amérique Centrale pour capturer des instants de vie, pour le compte d’ONG telles qu’Amnesty International , Friends of the Earth, ou encore The Forest Trust.
Leur ambition ? Réaliser une série de plusieurs courts-métrages de 7 minutes qui seront progressivement diffusés selon un planning précis, jusqu’à la COP21.
La brièveté du format n’a pas été choisie au hasard. L’enjeu est de cibler les négociateurs politiques lors des grandes conférences environnementales. Il leur fallait donc trouver un support rapide à visualiser en réunion et suffisamment poignant pour avoir une influence sur les décisions prises.
Il y a deux ans, l’ONG Ford Foundation les contacte pour collaborer sur une nouvelle série de films mettant en lumière le rôle des indigènes dans la protection forestière. C’est là que naît le projet. Ils partent alors en Indonésie pour réaliser :  « If not Us the who ? ».

Handcrafted Films ©

Paul Redman – Réalisateur.

 

Est-­ce facile d’intervenir et de s’intégrer ainsi auprès des communautés indigènes, notamment en tant qu’Européen ?

Nous travaillons avec des ONG locales qui mènent un travail réellement impressionnant.
Nous sommes en collaboration avec des groupes locaux qui travaillent avec les communautés.
Cela rend le travail bien plus facile à réaliser. L’intégration s’est réalisée sans difficulté.
Dans la plupart des cas, je filme moi-même, je dors avec eux, mange la même chose, je suis en totale immersion dans les communautés. Mais il m’arrive parfois, d’envoyer des associés pour filmer à ma place.
Ils ont confiance dans le fait que le travail qui est mené sur place ne leur sera pas préjudiciable, mais qu’au contraire, ils ont cet espoir qu’il leur sera profitable.
Pour eux, je suis là afin de transmettre leur message, tel un relais de confiance, un intermédiaire qui leur offre une lueur d’espoir. Grâce à ces courts-métrages, c’est leur voix qui résonne à travers le monde.

Vous avez donc été au contact d’une multitude de communautés. Quelles formes prennent leurs actions pour protéger la forêt ? Se ressemblent-elles par-delà les frontières ? 

Oui, il y a beaucoup de ressemblances. L’impact du changement climatique et la menace environnementale est immédiate pour tous.
Souvent leurs actions suivent le schéma suivant : il y a d’abord une action visuelle, où ils essaient de renvoyer les machines des entreprises qui empiètent sur leurs terres (en les brûlant bien souvent), puis quand l’action physique atteint ses limites, ils se tournent vers une action plus médiatique, via les réseaux sociaux notamment.
Le problème c’est que peu ont accès à ces réseaux. C’est là qu’interviennent les ONG locales en relation avec eux. Elles leurs permettent de relayer leurs revendications.
Ce dont ils ont réellement besoin, c’est d’une mobilisation sociale, d’un soutien des Occidentaux pour trouver des solutions pour protéger la forêt.

© Handcrafted Films

© If Not Us then who

 

Vivant vous-même à Londres, avez-vous senti un fossé entre nos deux cultures ? 

Je me souviens d’un regard, celui du leader des Kalemanta, nommé Rayemundos : unique. Le plus calme, le plus profond, le plus apaisé que je n’ai jamais vu de ma vie.
Un de ces regards pénétrant qu’on ne verra jamais ici à Paris ou Londres, ou dans n’importe laquelle de nos métropoles.
Il dégageait une aura de sagesse. Je pouvais percevoir la connaissance de cet être qui avait conscience de l’ordre naturel des choses : il savait quel fruit manger, quelle plante consommer. Il connaissait la forêt comme son propre enfant.
Mais surtout, il était calme. Très calme. Il avait ce bonheur dans ses yeux. Un regard heureux que beaucoup d’indigènes partagent.
Le fait est que ces peuples vivent en harmonie avec leur environnement. Ils n’ont pas cette anxiété qui affecte nos existences. Nous devrions réellement essayer de comprendre leurs modes de vie, tirer leçon de leur savoir.
Je pense que c’est ce sur quoi nous devrions méditer : comment peut-on s’adapter pour retrouver un semblant de naturel dans nos vies, trouver cette paix intérieur et surtout abandonner cette angoisse, cette souffrance qui affecte beaucoup d’entres-nous.
Alors même qu’ils font face à des scénarios traumatiques de destruction de leur environnement, ils ont toujours cette merveilleuse tranquillité d’esprit, ce sentiment d’appartenance à la terre qui ne les quitte jamais.
Je pense que nous devrions y trouver une source d’inspiration.

 

Et vous êtes-vous confiant sur notre avenir ? 

Je pense qu’il n’est pas trop tard.
Les mouvements slow, le développement de l’agriculture biologique et des AMAP, la mode du Do It Yourself et du « fait maison » que l’on voit se développer en Occident annoncent un début de changement.
Les gens commencent à se regarder enfin dans les yeux, à prendre conscience de ce que l’Homme fait à la nature. Peu à peu, les consommateurs se soucient de leurs achats.
On se reconnecte au monde, aux choses. Il n’est jamais trop tard pour rétablir ce lien.
Les Indigènes ont développé une culture du bien-être. Ils savent ce que leur apporte chaque chose qu’ils consomment.
En Occident, ce n’est plus le cas. Tout a été déconnecté. Il faut reconnecter le monde.
On a besoin de développer un Futur Sans Carbone.

 

Comment peut-on agir à notre échelle pour aider ces communautés ?

Il y a déjà les ONG qui réalisent un excellent travail pour permettre aux Indigènes de se rendre à Bruxelles ou à Washington lors des négociations. Il y a désormais beaucoup d’ambassades Indigènes dans le monde. Leurs volontés sont ainsi connectées aux décisions politiques.
La plupart des Indigènes sont conscients de ce qui se passe à l’échelle internationale. Ils sont au fait des actions menées autour de la question climatique.
Mais à mon avis, ils ne devraient pas trop s’impliquer au-delà de leur cause personnelle. Ils ne devraient pas se soucier du stress qui règne dans nos villes. Je pense qu’ils devraient simplement faire ce qu’ils font actuellement : protéger leur forêt.

De notre côté, on peut les aider de différentes façons : en relayant leur histoire, en soutenant leurs campagnes, en faisant attention à ce que nous achetons, consommons au quotidien… 
Par exemple, l’industrie Pt Toba Pulp Lestary déforeste régulièrement leurs terres pour produire de la pâte à papier avec les arbres.
Si nous nous sentons réellement concernés par leur récit, si nous faisons preuve d’empathie, nous devrions faire attention à ce que nous achetons, vérifier que le mode de production n’est pas destructeur de leurs terres. C’est une attention quotidienne à porter à nos actions individuelles en tant que consommateurs.

Il y a un manque de transparence incroyable dans nos grandes surfaces. On achète un produit sans même savoir d’où il provient ; les labels sont même souvent trompeurs et portent à confusion.

Ca me rappelle une citation d’un personnage de Songlines, un roman qui relate les aventures de l’auteur Bruce Chatwin en Australie.
Caddie dit ainsi dans un des passages : « The world, if it has a future, has an ascetic future. »
C’est un livre qui regorge d’enseignements philosophiques sur la nature humaine, sur son évolution, sur la psychologie de l’homme et ses relations aux autres. Caddie sous-entend ici l’idée d’abandonner lentement les choses, de renoncer progressivement à la luxure qui a pris le contrôle de nos vie.

C’est un long chemin de sagesse à parcourir. J’ai moi même des progrès à faire.
C’est un travail de tout une vie. Il est difficile d’abandonner un mode de vie auquel on s’est adapté, de renoncer à un confort bien acquis. Il y a une révolution intérieure à opérer (« a mental shift »).

Dans le dernier court­-métrage que vous avez mis en ligne le 11 mai (voir ici : De Nos Ancêtres), vous faites la distinction entre le rôle tenu par les femmes et celui tenu par les hommes. Qu’en est-il ? Peut-on parler d’un double enjeu environnemental et social ?

Je me souviens qu’en arrivant au village la première fois, j’ai été surpris par une multitude de femmes occupées à veiller sur les enfants qui jouaient à la sortie de l’école.
Les communautés que j’ai rencontrées sont très hiérarchisées socialement, elles reposent sur un système patriarcal très fort.
Les femmes s’occupent des enfants, les hommes de la lutte.
Mais peu à peu, on assiste à un bouleversement de ces pratiques.
Dans beaucoup de communautés, les hommes ont été emprisonnés ou tués au cours de ces revendications.
Ce sont les femmes qui ont alors pris la relève. Quand les hommes ne sont plus, ce sont elles qui poursuivent la lutte.
Cela mène à des changements progressifs qui tendent vers une libéralisation de ces dernières.
Alors, oui, on peut parler d’un double enjeu, climatique certes mais aussi social autour de la question du rapport de genre.

© Handcrafted Films

© If Not Us then who

Après toutes ces immersions au sein des communautés, êtes-vous plutôt optimiste pour leur sort, qui est aussi le nôtre ? Quel est leur rapport à la modernité ? 

Il y a mille et une façons de répondre à cette question.
D’un côté, on pourrait se sentir dénué d’espoir, accablé.
Qui plus est, avec le changement climatique se pose un nouveau problème. Par delà l’action des hommes, il y aura des catastrophes environnementales contre lesquelles les indigènes, dépourvus de toute technologie et ressource financière ne pourront rien faire.
Mais je préfère garder en tête l’idée qu’il y aura toujours ces communautés qui tiennent à vivre au coeur de la forêt, ce sont elles qui ne cessent de se battre depuis les années 1970’s.
Leurs leaders sont allés à Jakarta pour faire campagne. Elles ont une longue histoire de lutte.
Si on détruit la forêt, elles s’éteindront. C’est pourquoi elles lutteront férocement, jusqu’à la mort pour certaines, pour préserver leur habitat. Et ça, c’est une source d’espoir.
Les Indigènes veulent une meilleure éducation, une certaine sécurité sociale. Ils tendent vers une certaine modernité mais ils ne perçoivent pas la technologie comme une potentielle source de bonheur. Ils ne la convoitent pas, au contraire. Ils savent dissocier les atouts qu’ils peuvent en tirer et les raisons de s’en tenir écartés.
Les communautés indigènes peuvent se frayer un chemin dans la modernité, en adoptant un développement non-destructeur, en harmonie avec leur environnement.
Par exemple, mon téléphone portable pour eux est génial, il leur permet d’être en contact avec les locaux.
Ils ont aussi installé des panneaux solaires sur leurs maisons pour produire leur propre électricité (projet soutenu par Greenpeace). Contrairement à certaines idées reçues, ils ne vivent pas isolés.

Qu’envisagez-vous après la COP 21 ? 

Waouh… Je ne sais pas. J’ai consacré les 3 dernières années de ma vie à la préparation de ces projets pour la COP21. C’est difficile de se projeter, mais j’aimerais bien réaliser une version cinématographique, peut-être une version longue de 90 minutes, compilant tous les courts pour l’année prochaine.
Elle permettrait de dépasser l’aspect « bande-annonce » des courts, qui ne laissent pas une marge suffisante aux Indigènes pour s’exprimer.
J’aimerais qu’on puisse pénétrer au coeur de la vie des indigènes, qu’ils puissent nous communiquer leur expérience pour mieux comprendre leur quotidien.
Je voudrais accentuer la dimension d’intégrité artistique avec un espace pour les personnes, les émotions. Je désire approfondir les récits de vie, en laissant parler les communautés librement.
Ce serait un projet où il y aurait un réel partage.

À ce propos, quelle place accordez-vous à la dimension émotionnelle dans l’abord des enjeux climatiques? 

L’aspect émotionnel est très important.
On a besoin de se rappeler des choses que l’on doit faire régulièrement. Il faut se connecter émotionnellement aux gens. Le changement climatique doit être compris d’un point de vue émotionnel. Mais, à l’inverse, on ne peut pas être trop dur  avec soi-même sur les choses qu’on fait ou qu’on ne fait pas.
Ce changement individuel est un long processus, qui requiert beaucoup de temps.

D’ailleurs, il devrait être pris en charge dès l’enfance, par les différentes institutions de socialisation : l’école, la famille.
Les gouvernements ont besoin d’un propos clair. Pour le moment, ils n’agissent que selon une logique lucrative en fonction des intérêts des entreprises présentes sur le territoire. Or, on doit arrêter d’accepter de nouvelles grandes firmes sur notre territoire si celles ci ne nous garantissent pas une contribution à la protection environnementale.
Enfin, si l’action politique est fondamentale, je suis convaincu que la véritable action à mener doit être civile : par le vote notamment. Ce sont les citoyens qui participent à la construction de nos gouvernements.

À ce propos, je suis réellement déçu face aux élections législatives britanniques.
Je croyais que les choses allaient changer et encore une fois, ce sont les Conservateurs (Tories) qui l’emportent haut-la-main. Je pense que leur victoire ne fait que renforcer l’idée que si nous voulons un changement, NOUS devons être ce changement. Chacun doit à son échelle agir pour pousser le gouvernement à s’investir dans la question environnementale. Le mouvement doit être ascendant et les politiques n’être que le reflet des classes sociales qui composent notre société.
En revanche, je crois fermement que si on se rend dans la rue, si on se mobilise réellement, si on dit aux politiques que l’on veut une transformation, ils réagiront.
J’ai beaucoup d’espoir dans la marche mondiale pour le Climat qui se tiendra à New York en Septembre.
L’essentiel est de ne plus attendre. Il faut agir vite. Vite, c’est-à-dire dès aujourd’hui, les scientifiques sont clairs sur ce point.  

++ Informations supplémentaires ++ 

  • Paul Redman sera au Festival de Cannes ce week-end pour rencontrer le Président du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengues (CCPAB), Jocelyn Thérèse, lors d’une discussion entre experts sur les enjeux climatiques.
    Enfin, il sera présent à la COP21 lors des négociations à Paris à la fin de l’année et peut-être même parmi nous au sein de Place To B !
  • Le site du projet en français :  If Not Us Then Who 
  • L’intégralité des courts est à retrouver sur : Handcrafted Films
    Vous pouvez également y trouver plus d’informations sur l’intégralité des membres de l’équipe, des informations sur les prix reçus, et différents supports rapportant les récits de vie des communautés indigènes.

Enfin, étant moi-même Argentine, et donc attachée aux populations d’Amérique Latine,  je vous partage mon coup de coeur : La Réunion, le court réalisé au Pérou.

© Handcrafted Films

 

 

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